J'ai bientôt dix-huit ans, je ne suis ni pauvre ni malade, je n'ai pas été violée et pas encore assassinée.
Je suis une terrienne privilégiée, "You are the dancing queen, Young and sweet, Only seventeen". Ma vie est une matinée de printemps, tant de brouillard que tout nous semble parfait. Le monde, l'humanité... Tout fait parti du plan.

Je ne suis pas allée à Poudlard, je n'ai toujours pas rencontré Johnny Depp, n'ai pas trouvé le pays des merveilles, cherche toujours l'homme de ma vie, n'ai pas de pouvoirs surnaturels, n'ai pas rencontré de vampires, ne suis pas parvenue à devenir un génie, n'ai pas élevé de dragons, ne travaille pas chez Disney, ne suis toujours pas riche, n'ai pas braqué un magasin de bonbon ou de jouets, n'ai pas d'écran plat sur mon plafond, n'élève pas un tigre, ne suis pas une aventurière intelligente et sexy, ne suis pas une elfe dans le monde de Tolkien, n'ai pas été admise chez les académiciens, ne suis pas possédée par un démon super classe, n'ai pas giflé mon frère, ne suis pas allée en Ecosse ni en Irlande, n'aime pas fumer, n'ai pas conduit de voiture volante, n'ai pas sauvé l'humanité...

"I have a dream"...  Tant de fantasmes enfantins agités par la société dans laquelle j'ai grandis. Tant de faux espoirs, d'attente, de nuits blanches.
"Chiquitita tell me what's wrong, You're enchained by youre own sorrow, In youre eyes there is no hope for tomorrow..."
Que toute cette magie m'emporte loin de cette réalité, que ce ciel étoilé qui nous rappelle constamment nos déceptions s'écrase, qu'il transperce mes membres engourdis par ce poison de désirs insensés.
"Chiquitita, you and I cry, But the sun is still in the sky and shining above you, Let me hear you sing once more like you did before, Sing a new song, Chiquitita..."

Bercée par la peur du temps qui passe j'ai appris peu à peu à savourer sans penser à la fin, à consommer
"Money, money, money, Always sunny, In the rich man's world...",
je suis une parfaite actrice du monde de demain... Un boulon parmi 5milliards d'autres, se sentant coupable mais pas trop pour le milliard qui crève de faim, de soif, de guerre.

J'ai connu les passions humaines comme tout bon humain qui se respecte,
"If you change your mind, I'm the first in line, Honey I'm still free, Take a chance on me...",
n'y ai plus cru pendant longtemps, ai tiré un trait dessus, puis y ai succombé de nouveau
"Mamma mia, here I go again, My my, how can I resist you, Mamma mia, does it show again, My my, just how much I've missed you...",
ai de nouveau pris goût à ces passions, à l'humanité.
"Love me or leave me, make your choice but believe me, I love you, I do, I do, I do, I do, I do, I can't conceal it, don't you see, can't you feel it?,
Don't you too?
I do, I do, I do, I do, I do..."

Alors que des jeunes filles de mon âge se font violer, torturer, alors que le passé nous est insufflé dans les veines, les erreurs de nos ancêtres nous clouant à l'humilité je vis Waterloo, ma bataille, ma vie,
"Waterloo, I was defeated,
you won the war,
Waterloo, Promise
tolove youfor ever more
Waterloo,
Couldn 't escape if I wanted to
Waterloo,
Knowing my fate is to bewith you
Waterloo, Finally
facing my Waterloo..."

Sans scrupules j'écris mon insignifiante vie d'une encre invisible sur cette terre, narcissique et égoïste, "Tonight the Super trouper lights are gonna find me, Shining like the sun, Smiling, having fun, Feeling like a number one..."

Tout a déjà été dit, chanté, écrit, vécu, joué, crié... Ma vie se déroule comme le plan. Mais ne peut-on pas relever une déficience ? Un virus dans mon programme ? Une cellule n'appartenant qu'à moi, une épice qui donne toute sa saveur à ce parfait scénario...
N'est-ce pas le bonheur qui retient mon âme, qui la soude à cette gravité infernale...Pas de quoi en faire un poème ou une chanson, tout est là, toute ma vie en est le support, victime d'un défaut, un boulon rouillé qui rejoindra le néant, correctement vissé à un cycle insignifiant,  un boulon qui tourne dans l'autre sens, qui prend la fin comme départ, chaque jour se dirigeant vers la naissance avec bonheur.
Pas de quoi en faire une chanson, je ne respecte pas le refrain malgré les accords parfaits d'une société meurtrière, boulon alimenté par l'huile des faibles, une machine infernale trempée dans le sang.
Pas de quoi en faire un tube, je tourne pour autre chose, pour l'humanité je reste de ce monde, fière de résister à la mutinerie, fière de ma chance et alimentée par le sang de mes frères, c'est tout ce que je peux faire, être heureuse dans ce monde déclinant, toucher le bonheur tous les jours de mes mains ensanglantées.

Sans scrupules, malgré le souvenir de ces désirs enfantins, chimères de ma société, crier mon bonheur au monde entier, le chanter, repasser cette terre déjà saturée d'histoires du récit de ma vie,
"Tonight the Super trouper lights are gonna find me, Shining like the sun, Smiling, having fun, Feeling like a number one..."


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Photo : Sara Nortanicola